2034, roman réveil ≈062
J’adore quand la fiction permet de démasquer le réel sans y rester collé, quand elle aide à se poser de bonnes questions, surtout s'il s'agit de risques réels.
Bonne année à toutes et tous…
Commençons par un bon livre pour aborder presque sereinement ce qui nous attend (spoiler : je ne parle pas de dissolution).
Un roman… Mais je vous préviens, celui-ci imagine comment nous pourrions nous retrouver happés dans l’engrenage d’une conflagration planétaire.
Parler de la mort n’a jamais tué personne. Parler de guerre non plus j’espère. Et un bouquin qui tient la route est trop précieux pour être ignoré. Surtout s’il est utile.
2034, le livre
2034, tel est le titre, a été publié aux États-Unis en 2021 avec un sous-titre on ne peut plus clair : A Novel of the Next World War, soigneusement gommé de l’édition française par peur, j’imagine, d’inquiéter. C’est pourtant là une de ses vertus principales : il alerte en mettant en scène ce qui pourrait bien arriver… après-demain… ou plus tôt.
Les deux auteurs savent ce que « guerre » veut dire.
Ancien Marine, Elliot Ackerman a commandé des troupes spéciales en Afghanistan et en Irak. Le New York Times review of Books estime d’un de ses premiers romans qu’il « a fait quelque chose de courageux en tant qu'écrivain et d'encore plus courageux en tant que soldat : il a touché, pour de vrai, la culture et l'âme de son ennemi. » Un art qu’on retrouve dans 2034.
Ancien commandant du groupe d'attaque naval mené par le porte-avions Enterprise dans le Golfe Persique de 2002 à 2004, l’amiral James Stavridis a occupé plusieurs postes de commandement en chef dont celui de l’OTAN. Il connaît par coeur les différents théâtres d’opérations traités dans le livre : la mer de la Chine du sud revendiquée par Beijing, Kaliningrad cette obsession russe, ou le détroit d’Ormuz, position stratégique dont le contrôle peut changer les flux mondiaux d’énergie, entre autres.
Ensemble, ils nous donnent un vrai thriller structuré autour de l’inévitable affrontement des deux superpuissances de notre époque qu’ils font démarrer par un piège tendu par le Chinois. Les Américains s’y précipitent la tête la première et s’empêtrent, entraînant leurs ennemis dans un emmêlement dont personne ne sait plus comment se dégager.
On y voit une femme commodore en charge d’un destroyer américain dont l’escadre est anéantie sans qu’elle comprennent pourquoi, sur le moment.
Un pilote de chasse US dont l’avion se fait aspirer au dessus de l’Iran sans, lui non plus, s’expliquer comment.
Un amiral chinois diplomate en poste à Washington dont je ne vous dirai pas plus.
Un ministre de la défense et membre du politburo de Beijing qui s’inspire de Sun Tzu (impossible d’y couper) pour berner une présidente américaine modérée et craignant de paraître trop faible…
Un officier irascible des Gardes révolutionnaires iraniens qui, incapable de foutre une simple baffe à son prisonnier, complique la situation, peut-être à dessein.
Un analyste américain d’origine indienne qui a le plus grand mal à gérer une crise planétaire en même temps que la garde de sa fille dont il a quitté la mère.
Une amiral russe qui, suivant les instructions de Poutine, toujours au pouvoir, profite de la situation pour rattacher Kaliningrad à la mère patrie.
Le tout est tissé de tensions et de jalousies familiales, amoureuses ou professionnelles qui, loin d’être le centre du livre, lui donnent une chaleur humaine et en rend la lecture facile.
Elle est aussi utile.
Lire 2034 permet de comprendre comment :
l’affrontement se jouera sur plusieurs théâtres à la fois et fera intervenir des alliances et des rivalités entre puissances secondaires tout aussi surprenantes que les technologies alors que l’Europe, sauf la Russie ne joue pas le moindre rôle;
une fois lancée, la logique des inter-actions, devient incontrôlable du fait des relations entre les différentes composantes de l’ensemble.
Mais, le livre n’est pas totalement pessimiste. Un shiva ex machina permet d’éviter, non sans difficulté, l’embrasement généralisé.
Pas vraiment pessimiste
Contrairement au mythe de la fin du monde qui ressort de siècle en siècle les auteurs ont l’intelligence de ne pas faire de quelques échanges de charges nucléaires une affaire définitive. Loin de là. On modifie la composition du Conseil de Sécurité de l’ONU dont on fait déménager le siège loin de New York comme de Beijing. Dommage qu’il faille une guerre pour cela.
Mais pourquoi recommander un tel livre qui n’est au fond, qu’une hypothèse concernant un futur, somme toute, lointain ?
Parce qu’elle est vraisemblable et que si nous attendons la veille pour nous réveiller il sera trop tard.
Parce que ces deux militaires américains reconnaissent l’importance des revendications des pays affectés par 5 siècles de domination occidentale et n’hésitent pas à écrire, en plus, que « L'Amérique que nous croyons être n'est plus celle que nous sommes. . . . ». Et la Chine pas encore… Quant aux Européens qui, sauf la Russie, sont inexistants dans cette grande conflagration, ils feraient bien d’admettre que cela vaut pour eux plus encore.
Encore des doutes ?
Sachez que le nouveau secrétaire de l’OTAN, Marc Rutte, prévoit une guerre majeure dans les cinq ans qui viennent. « Nous devons adopter un état d’esprit (mindset) de guerre » a-t-il déclaré le 12 décembre 2024, juste avant Noël.
« Réveillez-vous » m’a suggéré comme titre de ce billet un ami à qui je racontais l’histoire…
A quelle heure ?
PS - N’oubliez pas, avant de regarder vos montres, que l’actu court très vite derrière la fiction comme l’indiquent ces trois infos (parmi plein d’autres) de ces dernières semaines :
Deux câbles sous-marins de communication ont été coupés en Mer baltique. Le hasard ne faisant jamais si bien les choses on parle de sabotages dans lesquels seraient impliqués un bateau russe, un chinois et un chinois piloté par un Russe.
Des Chinois ont hacké le Département Trésor américain (l’équivalent, en France, du Ministère de l’économie et des Finances) et, ainsi, gagné « accès à certains documents non classifiés ».
Quant à Donald Trump il a souhaité un « joyeux Noël au gouverneur du Canada, Justin Trudeau, dont la fiscalité est beaucoup trop élevée. Si le Canada devenait notre 51ᵉ État, les taxes seraient réduites de plus de 60%, toutes les entreprises doubleraient immédiatement de taille et les Canadiens bénéficieraient de la protection militaire la plus importante au monde. » Idem pour les « habitants du Groenland, qui est nécessaire aux États-Unis pour des raisons de sécurité nationale, et qui veulent que les États-Unis soient là—et nous y serons ! » Et ce n’est pas tout, comme le montre la carte ci-dessous trouvée sur Le Grand Continent sous le titre “Noël avec Empire”.
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Bonne année à toutes et tous…