Ce que la victoire talibane permet d’anticiper en Afghanistan et ailleurs - Gazette de Pi #24
Bonjour,
La dynamique afghane crée une accélération des crises dans le monde qui rentre dans une nouvelle étape. J'en propose une analyse dépassionnée dont le but est d'aider à anticiper ce qui nous attend, que nous le voulions ou non. Le format n'est pas le même que d'habitude. Peu de liens mais les infos sont partout et n'hésitez pas à cliquer sur le dernier, vous serez surpris...
Avec le recul que nous permettent les évènements de cette semaine, le 11 septembre 2001 apparaît comme le prélude d’une nouvelle phase de notre histoire dont le vrai commencement restera l’entrée des Talibans victorieux dans Kaboul, 20 ans plus tard, alors que se répétaient les images des troupes américaines abandonnant leurs alliés dans un pays qu’ils avaient dominé.
Voyons pourquoi et comment.
Un nouvel Afghanistan
Entre déclarations officielles rassurantes et pratiques traditionnelles dans les provinces récemment reprises, les informations sont contradictoires. Mais nous disposons de références sur les comportements habituels des mouvements armés quand ils arrivent au pouvoir. Ils sont de trois types rappelle une newsletter du New York Times (lien temporaire) :
Nettoyage des élites antérieures - bourgeoisies terriennes, aristocraties, entreprises étrangères, selon les circonstances - et leur remplacement par des forces fiables.
Méga-migrations. L’application de la Charia, la mise sous contrôle masculin des femmes et les barrières mises à leur accès à l'éducation contribueront à en faire fuir beaucoup. La répression fera le reste.
Besoin de légitimité. Mais il est moins important que celui de consolidation. Les nouveaux régimes commencent souvent avec prudence mais leurs efforts ne durent qu'un temps. Ils sont tenus de donner la priorité au contrôle de leur société et de leurs ressources plutôt qu'à une aide étrangère toujours hypothétique.
Ça n’est pas une menace d’intervention militaire américaine qui va rendre les Talibans raisonnables. Mais nous aurions tort de considérer qu’il s’agit d’un mouvement unifié. C'est plutôt un cartel et les divisions ne devraient pas tarder à se manifester comme toujours dans le passé après que les Afghans ont défait un empire. Le chaos qui s’en suivrait est peut-être la pire situation pour les puissances proches : la Russie, échaudée, et la Chine, pas encore...
Bilan éclair de 20 ans d’intervention
2001 - En quelques minutes, pris par surprise le 11 septembre, les États-Unis ont perdu 3.000 femmes et hommes. L'intervention militaire ayant pour but d'interdire aux terroristes une base étatique de repli a rapidement été couronnée de succès. Les Talibans et Osama Bin Laden le concepteur de l'opération ont été obligés de s'enfuir dans les montagnes.
2021 : en 9 jours (ceux qui séparent leur capture de la première capitale provinciale de leur entrée à Kaboul le 15 août) les Talibans ont repris le contrôle de leur pays, avec en prime un matériel militaire capable d'en faire une des armées les mieux équipées du monde malgré la mobilisation des principales armées occidentales et la guerre la plus longue de l'histoire des États-unis.
En 20 ans les fondamentalistes islamistes ont étendu leur terrain d'opération jusqu'en Afrique de l'Ouest soit 11.500 km en pick-up et 7.400 en avion. Ils ont, en même temps, renforcé la confiance de ceux qui sont tentés par leur modèle et infligé une cuisante défaite militaire et politique à la première puissance mondiale.
Bilan de 20 ans de guerre pour les États-Unis : des dépenses officiellement chiffrées à plus de mille milliards de dollars, et la mort de 66.000 policiers et militaires et de près de 50.000 civils afghans, d’environ 2400 militaires, 4.000 civils américains (au total près de 800.000 citoyens de ce pays sont passés par l’Afghanistan, le plus souvent pour y combattre depuis 2001), 1200 soldats de l’OTAN, 500 employés d’ONG et 72 journalistes.
Impact global de la victoire des Talibans
Pas besoin de boule de cristal, il suffit de suivre l’actualité de ces derniers temps pour prendre sérieusement en considération :
Une énorme vague migratoire qui devrait se chiffrer en millions de personnes. Cela concerne d'abord les voisins, puis l'Europe.
Une augmentation des risques de conflit entre l'Inde et le Pakistan du fait de la montée du fondamentalisme chez chacun de ces voisins et, du renforcement, dans le second pays, des durs qui ont toujours aidé les Talibans.
Un renforcement du mouvement jihadiste jusqu'en Afrique de l'Ouest, depuis une solide base de repli et d'entraînement. Coup de pouce à leur moral et à leur confiance dans leur capacité de l'emporter.
Une avancée de la Chine qui a officiellement reçu le chef Taliban quelques jours avant sa victoire pour lui offrir son soutien économique. Mais elle ne peut pas voir d'un bon oeil la montée d'un énorme pouvoir islamiste à sa frontière. La probabilité d'une présence militaire chinoise en Afghanistan dans quelques années semble assez élevée.
Des doutes accrus sur la fiabilité de l’allié américain dans le monde entier. L'OTAN, l'Europe et le Japon se posent des questions. En Israël, les partisans d’une action directe contre l'Iran s’en trouvent renforcés.
Une altération du débat politique dans tous les pays musulmans, aux US et en Europe du fait, suivant les cas, de la montée d’un Islam intégriste, de l’augmentation des risques terroristes et de la réalité des migrations.
La situation ainsi créée s'ajoute aux multiples crises en plein développement pour en augmenter la volatilité pour ne pas dire l'explosivité.
Les États-Unis viennent de perdre une guerre dans laquelle ils avaient beaucoup investi et la Chine s’apprête à en profiter, alors qu’un affrontement militaire direct entre les deux puissances semble difficilement évitable dans les années qui viennent.
Nous en souffrirons tous les conséquences d’une façon ou d’une autre à court, moyen ou long terme.
Et pourtant... ce dénouement était prévisible pour tous ceux qui avaient lu un texte écrit par Engels (version en anglais) en 1857, traduit et publié par Le Monde en 2001. Il y a 20 ans...
Correction : la newsletter envoyée aux abonnés le matin du 19 août contenait une erreur. J'y parlais de l'attaque du "9 septembre" alors qu'il s'agissait, bien évidemment de celle du 11 septembre 2001. Merci à celles et ceux qui me l'ont signalé.