Bonjour,
Accès ? Mot simple, que nous rencontrons souvent ces derniers temps, et que je vous propose d’utiliser comme filtre pour aborder, l’espace d’un instant, le problème des inégalités croissantes qui menacent nos villes.
Commençons par un petit jeu. Si j’interroge Google, le lundi 4 mars au soir sur mon navigateur (faites l’expérience) voici ce que je trouve :
« gilets jaunes » +fiscalité > donne 20M de résultats
« gilets jaunes » +rond-point > donne 4M de résultats
« gilets jaunes » +RIC > donne 2,2M de résultats
« gilets jaunes » +Macron > donne 68M de résultats
« gilets jaunes » +accès > donne 70M de résultats !
Ça m’a donné l’envie de creuser…
Malaise français : une question d’accès ?
En quelques bullet points…
Pourquoi « gilets jaunes » + accès ?
Leur première protestation s’est élevée contre une mesure fiscale qui avait pour conséquence de limiter leur accès aux centres urbains.
Leurs premières actions ont consisté, en occupant les rond-points, à freiner, voir bloquer, l’accès à différents lieux.
Les violences les plus courantes se sont exercées dans des zones auxquelles ils n’ont pas normalement accès.
Le RIC peut être vue comme une demande d’accès aux discussions et aux décisions qui orientent notre société.
Leur première victoire a été de se connecter à leurs pairs, de retrouver l’accès à leurs semblables, à d’autres,
Le grand débat ne peut les satisfaire vraiment dans la mesure où l’accès en est contrôlé.
Excès et paradoxes de l’accès
Nous sommes passés d’un monde défini par ses limites administratives, par ses frontières, par la fermeture, à un monde tracé par ses flux, les ouvertures par lesquels ils passent, et un accès plus facile.
« Tout le monde » (une exagération de moins en moins fausse) peut accéder à tout ce qui se publie sur le web et grâce à l’internet.
Mais tous les contenus ne sont pas libres d’accès. C’est le cas, notamment, de celui des médias traditionnels gardés derrière des pay walls (économiquement nécessaires).
Facebook, Twitter, Whatsapp, Instagram et quelques autres, permettent un accès illimité à ce qui se publie sur les réseaux sociaux… d’autant plus volontiers qu’ils en tirent leur richesse.
Télés et mobiles des habitants des pays les plus défavorisés permettent d’accéder aux belles images de nos vies embellies par le marketing du soft power. Il faudrait être cinglé pour ne pas tout faire pour aller voir ce qu’il y a de vrai, pour tenter d’y accéder, d’en bénéficier. Idem pour les périphéries de nos métropoles avec, comme circonstance aggravante, la proximité. Dans ces deux cas, l’accès réel est de plus en plus difficile, sa négation de plus en plus douloureuse.
L’âge de l’accès - La nouvelle culture du capitalisme
C’est le titre d’un livre de Jeremy Rifkin publié en 2000 (2005 en français). Il montrait le passage d’époques au cours desquelles la propriété était la meilleure façon d’assurer sa survie, à un âge dans lequel l’essentiel devient l’accès.
Il participait de l’optimisme dominant de ces années là. Convaincu que l’accès à l’information, facilité par l’internet et par le web, allait résoudre tous les maux de l’humanité jusqu’alors souffrante.
Mais il prévenait que le fossé entre les connectés (ayant accès aux informations et aux services) et non-connectés, serait encore plus grand que celui qui sépare les possesseurs de bien matériels des autres.
L’accès, cette promesse qui nous réjouissait tous (moi le premier) il y a 25 ans, a été tenue. Peut-être faut-il dire « hélas ».
L’âge du capitalisme de surveillance
Un des livres les plus intéressants publiés ces derniers mois aux États-Unis s’intitule « L’âge du capitalisme de surveillance » de Shoshana Zuboff. Titre doublement révélateur.
Le génie de Google puis de Facebook, Amazon, Apple, Microsoft et les autres a été de nous faire miroiter des univers fascinants (ou tout simplement utiles) vers lesquels nous nous sommes précipités en laissant une myriade de traces dont nous ne comprenions pas la valeur. Ils savent les monétiser - source de leur richesse - et même s’en servir pour prévoir ce que nous allons faire - secret premier de leur efficace surveillance devenue une des dimensions caractéristiques du « système » tout entier.
En bref
Retirez lunettes et filtre. Le jeu (ou l’exercice) est terminé. J’en garde que :
Nous ne pouvons que gagner à poser nombre de questions, notamment celle des inégalités, en termes d’accès, de flux et de systèmes ouverts et pas seulement de richesses matérielles, de limites, de frontières et d’ensembles clos.
Le pouvoir politique aujourd’hui est en retard sur le pouvoir économique dans la mesure où il repose toujours sur une limitation de l’accès. Les bureaux de vote sont ouverts. Les votants perdent ensuite l’accès à ceux qu’ils ont élus.
L’accès à de fabuleux avantages et deux dangers redoutables : 1) Un piège. Plus nous accédons à ce qui est ouvert, plus nous rendons la surveillance efficace. Un échange défavorable qu’il est urgent de rééquilibrer ; 2) Un mirage. Le libre accès ne veut pas dire que nous avons les moyens (économiques ou culturels) de jouir ou de tirer parti de ce à quoi nous accédons.
Mais il ne faut pas pousser le bouchon trop loin… Aucun mot, aucun filtre ne peut tout expliquer. Il s’agit simplement de chausser des lunettes différentes aussi souvent que possible pour voir si ça nous aide à mieux comprendre des points qui nous auraient, jusqu’à présent, échappés.
En quelques liens…
L’âge de l’accès en français.
Un article dans lequel Rifkin explique son livre (en anglais).
The Age of Surveillance Capitalism.
The Guardian analyse le livre de Zuboff.
Rien à voir mais…
Si vous voulez jouer à l’autruche, regardez ce tableau des 50 villes les plus polluées du monde : elles se trouvent en Inde, pour l’essentiel, en Chine et au Pakistan.
Mais, sortez vite la tête du sable : l’enquête menée sur 3.000 villes dans le monde montre que 64% d’entre elles dépassent le minimum conseillé par l’OMS pour les particules fines connues comme PM2.5.
Si vous aspirez à une utilisation éthique de l’intelligence artificielle, lisez ces 10 recommendations formulées à l’issue d’un sommet organisé par le New York Times sur le sujet, dont voici les principaux extraits.
Si vous voulez terminer sur une note d’espoir regardez cet article du Monde sur ce projet de Cité universelle qui vient de remporter un des lots du deuxième appel à projets « Réinventer Paris ». Un ensemble construit autour de… l’accessibillité.
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