Bonjour,
Des chercheurs de Clermont Ferrand nous invitent à « désinnover ». Titre provocateur. Ça marche puisque je rebondis. Bravo donc, mais… creusons pour voir si c’est une bonne idée. Je crains qu’il ne faille faire très attention…
Faut-il désinnover ?
Ils partent d’un vrai constat : notre tendance à la lassitude va en s’aggravant à chaque rapport du GIEC. Incapables d’enclencher la transition à laquelle ils appellent, nous sommes tentés de baisser les bras et de nous enfoncer plus encore.
Leur explication : « c’est parce que nous n’arrivons pas à « fermer les choses ». En clair, plus que d’un renversement théorique ou d’une réforme impossible du capitalisme, nous avons besoin de le fermer concrètement. » Tout cela parce « qu’un des traits anthropologiques majeurs des modernes est celui de « l’ouverture » ». Leur ennemi est identifié.
Qualifiée par eux-mêmes de « naïve » (qualité que je ne lui trouve en aucune manière) ces messieurs nous proposent de mettre fin aux infrastructures, de nous fermer au reste du monde et de nous concentrer sur nos territoires. Antienne à la mode avec un zeste de Bardella. P/LeMonde
Un vrai problème
Ils touchent un problème dont la conscience est de plus en plus claire, comme le montre un article publié deux jours plus tôt par The Guardian. On y lit une condamnation de la folie de construction d’infrastructures dans la période post-pandémique - si tant est que nous y soyons déjà - en précisant que, dans le contexte actuel, leur première raison d’être est d’enrichir ceux qui les construisent. Dans la plupart des cas, ils surestiment les bénéfices environnementaux et sous estiment les coûts de tous ordres. De fait, l’auteur explique que « une infrastructure plus verte ne produira un résultat plus vert que si elle s'accompagne d'un retrait délibéré des infrastructures existantes. "Pour conclure, si vous voulez un monde plus vert, résistez à la marée montante du béton. » A/The Guardian
Un groupe de Bruxellois parlent d’exnovation qui désigne « les processus de déstabilisation, déclin et abandon des industries, technologies, business models et pratiques à forte intensité carbone et/ou soulevant d’autres problèmes systémiques de durabilité (environnementaux, socioéconomiques, urbanistiques, etc.) ». A/exnovation.brussels
Mais, la fermeture sans précision que propose le groupe de Clermont-Ferrand est-elle une solution ? A/Origensmedialab
Une approche douteuse
On peut apprécier le fait qu’ils proposent d’avoir recours à des assemblées pour statuer sur ce qu’on garde et ce qu’on ferme. Très bien, mais pourquoi ne pas leur proposer des innovations ou les y faire participer ?
C’est ce qu’ont réalisé Making Sense et Mara Balestrini à Barcelone pour l’installation de capteurs de bruit qui ont permis de prouver à la municipalité qu’il y en avait trop en certains endroits et de la pousser à prendre des mesures pour le réduire. A/El País (en espagnol)
Nos chercheurs procèdent comme si l’innovation n’était que technologique. Or, celle qui surgit de partout est aussi sociale et politique, un recours malin à l’ingéniosité de tous. A côté des pompes à CO2 que nous devons aux ingénieurs (à valider) on voit se multiplier le recours à l’habitat intergénérationnel ou la simple multiplication de zones d’ombre pour lutter contre les ilots de chaleur en ville.
Le mot désinnover implique, pour autant que je le comprenne, de renoncer à trouver des réponses nouvelles aux problèmes qui se posent à nous… même s’ils sont nouveaux. On peut se demander s’il s’agit de remettre en cause certaines innovations, souvent une excellente idée. Mais ils parlent aussi de « nos acquis sacrés » formule souvent paralysante, en France notamment. Si l’on accepte que tout change.
Ils invitent, sur leur lancée, « à reterritorialiser nos systèmes de production et de distribution. La fermeture est l’horizon politique le plus optimiste du nouveau régime climatique. »
Là, sans hésiter, j’arrête. Aucune dynamique là-dedans face aux défis qui se posent à nous. C’est revenir à la ligne Maginot repeinte en bleu… Marine.
Pourquoi fermer quand on peut déconstruire pour repartir sur de nouvelles bases ? C’est ce qu’a fait l’architecte Carmen Santana pour transformer la ZAC-Gagarine-Truillot d’Ivry-sur-Seine en éco-quartier. Une méthode qui permet de retrouver les flux de vie en s’appuyant sur le travail d’assemblées, en prenant le temps qui permet d’innover positivement dans la « reconception » d’un espace d’habitation. Le remettre en question a permis d’en préserver les sens de le rendre compatible avec les besoins du moment. A/Archikubik de Carmen Santana
Regardez cette vidéo du processus attentif de déconstruction, c’est impressionnant. Le nouvel espace est en… construction.
La Gazette n’abandonne pas ses sujets - Suivi
GdP #25 Tourisme et voyages - Un jeune jordanien adopte et adapte le nom d’Ibn Battuta un des plus grands voyageurs arabes de tous les temps, rend compte de ses découvertes sur Tik Tok
GdP #24 Afghanistan - Biden l’a dit clairement "nous n'avons pas besoin de livrer une guerre terrestre pour la mener. » Les drones, entre autres, sont là pour ça. Attention, il est d’autant plus facile de s’y lancer qu’on ne met pas en danger ses propres soldats. A/NYTimes
Ce qui m’a frappé cette semaine
Le contraire de l’engagement pour les médias. C’est ce que propose l’application Crux, utilisée sur un des sites du Financial Time. Une sorte de jeu qui « récompense l'utilisateur - et choisit les articles - en fonction de l'éclatement de sa bulle de filtre [l’espace dont il ne sort pas]. C'est le contraire de ce que faisait l'ancien monde de l'engagement, de la personnalisation et de l’appât à clics. » Au lieu de suggérer plus de robots à Sarah qui s’est intéressée à un article les concernant « C’est plutôt : « Sarah a lu sur les robots, alors montrons-lui, je ne sais pas, un article sur la singularité » ». A/NiemanLab
Il n’est pas sûr que le cerveau fonctionne comme nous croyons. Depuis 100 ans les chercheurs s’efforcent de faire coïncider des fonctions comme la mémoire ou la prise de décision avec des zones spécifiques. Ils commencent à se rendre compte que les limites ainsi assignées ne correspondent peut-être pas à la réalité, ce qui amène à soulever un problème essentiel : "Vous pouvez gagner en termes de connaissances, mais vous pouvez, en fait, cesser de vous comprendre vous-même". A/Quanta
La privatisation de l’usage de la force, domaine jadis réservé à l’État, gagne du terrain. Après la multiplication des entreprises sous contrat - russes et américaines notamment - opérant au milieu des guerres, on voit les citoyens prendre en main de manière parfois sanglante le travail de police. A/NYT - États-Unis et Afrique du Sud
« Je crois qu’on ne saura jamais si le hasard est vraiment du hasard »
Edgar Morin - A/Alivrouvert