J’ai créé le mot « faitincelle » pour attirer l’attention sur certains faits, souvent présentés comme des « signaux faibles », susceptibles d’entraîner des changements significatifs. En détecter l’émergence appartient à un genre exquis : le journalisme d’anticipation, une sorte d’oxymoron puisque rendre compte des faits nous oblige à ne nous pencher que sur ce qui a déjà eu lieu. Je vous en propose deux cette semaine discrètement enfouis dans des flux d’infos rabâchées.
Anticipons : trop de variants et 2 booms
Multiplication des variants indiens
Commençons par la seconde vague de Covid qui frappe l’Inde. Sa dimension explosive tient aux conditions favorables à une multiplication des variants.
Le faible que nous avons souvent pour ce pays, ses gens et sa culture, ne devrait pas nous empêcher de voir que Modi figure dans la même catégorie que Trump et Bolsonaro. Il semble même plus dangereux pour les siens, comme pour le reste du monde.
Son gouvernement autoritaire et religieux, limite la liberté de la presse de signaler la montée du nombre de morts. Il exige des plateformes de médias sociaux qu’elles suppriment un paquet de comptes dont certains sérieux et critiques. Et pendant ce temps il pousse à la tenue d’élections au Bengale de l’ouest (100 millions d’habitants). Ses partisans ont multiplié les actes de campagnes massifs. La courbe de la montée du covid correspond exactement au calendrier du processus électoral.
Plus fou encore, il a laissé se tenir différentes fêtes religieuses dont la Kumbh Mela, le plus grand rassemblement humain du monde qui réunit tous les 12 ans plusieurs millions de fidèles sur les rives du Gange. Le gouvernement reconnaît la venue de plus de 9 millions cette année dont 3,5 millions en 2 jours. Plusieurs milliers sont morts, beaucoup d’autres sont repartis, malades, dans toute l’Inde.
Pourquoi c’est grave - Circulant entre une masse énorme de gens infectés, le virus voit ses probabilités de mutation augmenter de façon considérable. Il est erroné de parler de double variant comme on le fait souvent. Tout indique qu’il y en a beaucoup plus et que ça n’est pas fini. En fait personne ne sait pour la simple raison que seule une proportion infime des prélèvements réalisés sont analysés. Nous avons donc un authentique bouillon de culture dans le deuxième pays le plus peuplé de la planète. Le nombre de cas et la circulation des personnes infectées augment le risque d’apparition de nouveaux variants qui pourrait limiter l’efficacité des vaccins.
Un boom suivi d’un autre
Le journalisme d’anticipation peut aussi se cacher derrière l’invocation de l’histoire. C’est risqué puisqu’elle bégaye - sans se répéter -mais peut aider à nous ouvrir les yeux. J’ai beaucoup apprécié un récent article de The Economist abordant un sujet qui n’est pas vraiment leur spécialité : les agitations (unrest) sociales.
S’appuyant sur plusieurs études l’hebdomadaire constate que les catastrophes non-financières sont souvent suivies d’un boom économique. Qui entraîne ou cède la place à des tensions sociales accrues, notamment dans les pays où elles étaient déjà fortes. C’est ce qui s’est passé en Afrique de l’Ouest après la vague d’Ebola en 2013-16 et dans beaucoup d’autres pays après le SARS et le Zika. La petite phrase clé de l’article est « L’agitation sociale semble atteindre son apogée deux ans après la pandémie ».
Ne regardons pas que la COVID ou que la promesse de croissance - Les statistiques - comme l’a rappelé l’économiste Annie Cot récemment - sont un outil délicat à manier pour l’anticipation parce qu’elles tendent à donner une vision linéaire du développement ce qui n’est jamais le cas.
Mon expérience sur le terrain et dans le suivi de l’actualité montre que ce sont les variations, le développement des différences qui déclenchent les mouvements sociaux, plus encore que les situations qui durent. C’est cela que j’essaye de suivre dans la Gazette de Pi.
Il peut s’agir d’inégalités économiques croissantes, mais pas toujours. Ainsi, derrière les pitreries de Trump et le soutien populaire dont il jouissait (et jouit encore sans doute) une des inquiétudes constatées chez nombre de participants à l’assaut du Capitole le 6 janvier dernier était leur perte de statut social face à la montée de la reconnaissance des femmes, des transgenres, des Africains-Américains et des Latinos. Ce qui fait étincelle c’est quelque chose qui change.
Que ceux que cela inquiètent se rassurent, The Economist constate dans les mêmes études que ces périodes post-catastrophes sont également suivies d’un printemps d’innovations… dont je ne peux me retenir de dire qu’elles contribuent à ces changements…
Viande : renoncer et innover
Le mouvement pour renoncer à s’alimenter de viande, en raison des dommages causés par l’élevage à l’environnement, s’accélère. Ainsi le site de recettes Epicurious n’en propose-t-il plus depuis un an… sans que personne ne proteste (ou ne s’en rende compte), révèle le New York Times. Et ceux qui tiennent au goût se rabattent de plus en plus souvent sur la viande artificielle ou cultivée nous explique FranceInfo.
Vaccin : des images belles et convaincantes
Fabrication du vaccin Pfizer-BioNtech : un reportage graphique exceptionnel