IA, médias et peurs ≈025
L'appréhension domine et la couverture de l’IA par les médias « grand public » en est responsable, avec nos amygdales et la science fiction. Voici comment démêler ça avec quelques conseils pratiques.
La couverture de l’intelligence artificielle par les médias « grand public » laisse à désirer (que c’est gentiment dit).
Commençons par le « grand public » en question : nous.
La peur domine.
Si l’on en croit les sondages, et pourquoi pas dans le fond (à condition de ne pas nous en tenir là) les chiffes sont implacables : aujourd’hui les ⅔ des français perçoivent l’intelligence artificielle comme une menace. Une étude réalisée aux États-Unis et publiée en février dernier montrait qu’à peine 15% des Américains étaient « plus excités qu’inquiets » du développement de l’IA.
Qu’ils aient tort ou raison - il est trop tôt pour décider - n’est pas le plus important. Je vous propose donc de regarder de près ce qui peut expliquer cette situation et le rôle qu’y jouent les médias « grand public ».
Amygdales et science fiction
Les racines de cette peur se trouvent dans « la façon dont nos amygdales répondent à l’incertitude et aux menaces potentielles » explique le site NeuroSciencesNews. Ça s’applique parfaitement à l’IA, mais je précise qu’Il s’agit des « amygdales cérébrales, » notre système d'alerte, pas des ganglions lymphatiques qu’on nous enlève enfant, appelés aujourd’hui « tonsilles ».
Même les neurosciences n’expliquent pas tout. L’environnement culturel nous y a largement préparé, de Frankenstein à Terminator en passant par Metropolis de Fritz Lang, 2001 Odyssée de l’espace et même Les temps modernes de Chaplin. L’avenir technologique de l’humanité est plus souvent présenté sous un angle dystopique (rien de va plus) qu’utopique (tous les rêves sont permis).
Tout ceci est aggravé par la couverture médiatique qui, faute d’un consensus scientifique sur le fond, n’a d’autre boussole que pousser ventes et recettes publicitaires. Elle est, en outre, influencée par les craintes professionnelles des journalistes et des supports pour lesquels ils et elles travaillent. Ça grêle dur.
Le nombre de postes remplacés par des IA augmente dans ce secteur comme dans d’autres, mais la médiasphère peut le crier plus fort. A ces menaces directes s’ajoutent le succès des campagnes de désinformations discréditant le journalisme dont l’amplitude peut être dopée par l’IA. Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour envisager ce qu'on peut obtenir en faisant parler quelqu’un dans une autre langue avec une synchronisation parfaite des mouvements de la bouche. En cliquant sur ce lien de France Info vous entendrez Lionel Messi donnant à Miami une conférence de presse en parfait anglais (il parle seulement espagnol), et le réalisateur Jon Finger s’exprimant en anglais, français et allemand.
L’inquiétante équation médiatique
Inquiétante, l’équation médiatique face à l’IA est relativement facile à poser :
Les informations quotidiennes précises concernent rarement le grand public or les médias d’information vivent de l’actu plus que des analyses ou des explications, du moins le croient-ils. Ils sont donc en porte à faux.
Titrer sur des promesses paradisiaques et, plus souvent, sur nos appréhensions, joue sur les émotions qui sont la meilleure source de traffic ou de stimulations d’achats.
Une telle attitude est dommageable car elle empêche de se poser des questions aussi bien techniques que sociétales qui nous concernent : apprendre à se servir des nouveaux outils, comprendre les grands enjeux sur des bases sérieuses ou lutter contre la création d’une nouvelle fracture sociale entre celles et ceux qui savent et les autres.
Nous avons peur et certains médias en profitent volontiers mais rien n’interdit d’apprendre à la gérer. Que d’avancées ont été obtenues de cette façon.
Mais la peur de la peur peut inviter à se poser de bonnes questions.
C’est particulièrement urgent en France. « Il y a trente ans, nous avons laissé passer la révolution numérique » a reconnu Bruno Le Maire, ministre de l’économie à l’occasion de l’ouverture, cette semaine, du premier comité interministériel dédié à l'IA. Mais il ne s’agit pas que du gouvernement.Lle manque d’appétence des Français pour les technologies de l’information et de la communication (TIC) pose de sérieux problèmes de développement. Pas à notre économie seulement, à chacun.e d’entre nous ou presque. Réfléchissez.
Passons vite à l’étape du jour. Fille de la révolution numérique, l’intelligence artificielle est une technologie de pouvoir. Nous n’avons aucune raison de laisser les puissants se l’approprier. Nous en savons assez pour comprendre que le grand enjeu est de savoir qui de l’humain ou de la machine contrôlera l’autre. Or l’humain, n’est-ce-pas, c’est nous : le « grand public ».
Concret : suggestions personnelles
Pour écrire Myriades je me suis abonné à plein de sites spécialisés et « grands public » où il est question d’IA. Je reçois beaucoup plus d’articles que je ne peux en lire en détail. Voici quelques règles très ordinaires pour faciliter le tri.
J’écarte systématiquement les titres annonçant la fin du monde, comme la fin de tous nos maux.
Je privilégie enquêtes, expériences, faits concrets et implications sociales réelles : suppressions de postes, besoin de formation, usages médicaux positifs, par exemple.
Je m’efforce de garder une compréhension des grands principes technologiques du genre LLM, réseaux neuronaux etc., sans rentrer dans les détails. Mais dès que j’ai un doute je vérifie. Wikipedia est souvent un bon point de départ, surtout en anglais.
J’écoute les experts, mais pas n’importe comment.
Ceux qui travaillent pour une entreprise comme Yann Le Cun (Meta) ou Sam Altman (OpenAI) ne méritent qu’une attention discrète. Quelles que soient leurs convictions, ils sont payés pour nous vendre leur marchandise. Les livres de Le Cun méritent d’être lus pour leurs explications, sans oublier les pincettes pour le reste.
Les experts le plus souvent cités sont presque toujours prévisibles. Ils ne peuvent pas avoir de nouvelles façons de penser tous les huit jours. Je les lis une fois sur deux, à peu près.
J’accorde de plus en plus de place aux spécialistes des neurosciences. Pour mieux comprendre l’intelligence « artificielle » nous avons intérêt à en savoir plus sur le fonctionnement de la notre dont on découvre de nouveaux secrets tous les jours.
Dans le genre très solide, j’aime bien la newsletter AI Snake Oil de deux chercheurs de Princeton dont le livre de démystification est sur le point de sortir. Lors de la conquête de l'ouest américain la Snake oil, vendue au départ par les chinois a fini - comme quoi ça dégénère toujours - par désigner les vendeurs de camelote médicale. Le terme désigne aujourd'hui le marketing frauduleux.