Iran, Israël, US : escalade, enlisement ou trou noir ? ≈071
Ne nous attardons pas trop sur les détails factuels. Quelle est la dynamique dans laquelle nous entraînent les actions militaires de Netanyahou et de Trump contre le régime des ayatollahs ?
Comme vous, peut-être, comme beaucoup, j’ai passé plusieurs semaines sidéré par la montée visible, inéluctable du recours à la force, à la violence, à la destruction systématique au cours des derniers mois.
Par la dynamique enclenchée en différents endroits de la planète à l’intérieur de multiples pays comme dans les relations internationales.
Par son succès apparent et sa capacité à faire tâche d’huile.
Chacun avec ses raisons, parfois ses prétextes, Poutine et Netanyahou mènent la danse. Trump les suit tous les deux et, de Kagame (Rwanda) à Modi, Xi et Erdogan, pour ne mentionner que les plus visibles, un nombre croissant de dirigeants et de mouvements politiques nous entrainent dans une dynamique plus dangereuse encore qu’il ne semble. De plus en plus éloignée du droit.
Commençons par l’actualité de ce 22 juin 2025.

« Escalade » ?
« Escalade » est un des termes les plus couramment employés pour décrire les évènements de ces neuf derniers jours.
Indiquant un mouvement vers le haut, il donne une tonalité presque positive à la surenchère combinée de Jerusalem et de Washington que personne, en tous cas aujourd’hui, ne semble pouvoir contenir.
L’appareil sécuritaire israélien fonctionne, grâce à la maîtrise de sa technologie, à un niveau dont la plupart de ses ennemis n’a pas la moindre notion. Nous l’avons vu à Gaza. De plus, les pratiques et déclarations du Hezbollah que Jerusalem a su tourner, chaque fois à son avantage, l'ont montré de façon limpide. C’est plus surprenant dans le cas de l’Iran mais, quelque soit sa sophistication dans le nucléaire (dont on n’est pas certain qu’elle soit aussi avancée que le prétendent Netanyahou et Trump), elle n’a rien à voir avec celle des technologies de l’heure : drones et intelligence artificielle. Le régime paye son obstination dans ce domaine en même temps que le rejet répandu de son fondamentalisme religieux intolérant et répressif.
Un suivi attentif de l’évolution d’Israël et de sa façon de mener ses guerres depuis l’attaque terroriste menée par le Hamas le 7 octobre 2023 montre que le recours massif et sans états d'âme à la force, à la destruction et aux massacres paye (à court terme en tous cas). Il est trop tôt pour dire si le programme nucléaire iranien est détruit pour toujours et si le régime tombera. Dans un cas comme dans l’autre, les doutes (de nature différente) sont permis. Mais il est clair, à court terme en tous cas, que le “patron” d’Israël depuis trois décennies peut fêter son triomphe.
Reconnaissons-le… en précisant que cela risque de se révéler très grave pour le reste de la planète et dans le long terme. Ce qui compte maintenant c’est d’évaluer la dynamique dans laquelle ils ont engagé le Moyen Orient et le reste du monde.
« Escalade » ne permet pas a elle seule de comprendre la logique à l’oeuvre.
« Quagmire » (bourbier) ou « black hole » (trou noir)?
Lundi dernier, en écoutant un podcast de The Economist sur la situation au Moyen Orient, j’ai entendu revenir, dans les dernières minutes, le mot « quagmire » (bourbier). A peine prononcé par un des experts il était repris par d’autres. Je le prends comme un signal d’alerte.
Car « quagmire » a une longue histoire, en tous cas depuis la guerre américaine contre le Vietnam rappelle le site PoliticalDictionary.com pour souligner que Washington y avait mis les pieds peu à peu. Certains auteurs en ont même fait une théorie pour dire que l'implication s’était faite « par inadvertance » précise Wikipedia en anglais. Une façon de se défendre en affirmant que les intentions n’étaient pas mauvaises, qu'il s’agissait d’une « tragédie sans méchants », que le Washington d’alors avait les meilleures intentions du monde.
Le même terme a été utilisé pour qualifier l’intervention lancée par Bush contre l’Iraq en 2003.
Reprenant l’image, Max Boot écrivait en 2019 dans le Washington Post que « Une guerre avec l’Iran serait la mère de tous les bourbiers » en référence à la fameuse phrase de Saddam Hussein annonçant au moment de s’attaquer à Koweit « la mère de toutes les batailles » et dont on sait comment elle s’est terminée pour lui.
Même l’enlisement pourrait se révéler une illusion.
Début septembre 2003, 5 mois après le début de l’intervention américaine lancée par Bush contre l’Iraq, un ancien militaire américain trouvait trop optimiste la notion de bourbier. Il s’agit plutôt, écrivait-il, sur le site du think tank Foreign Policy in Focus, d’un « black hole », au sens astronomique du terme, un trou noir; « un voyage à sens unique dans un « tunnel » avec une force de gravité écrasante dans lequel même la lumière se perd ». Image radicale mais, si j’ose dire, lumineuse : une fois qu’on met le doigt dedans on n’en sort plus.
Comment aborder les mutations en cours ?
Aucun conseil à donner, bien sûr, mais permettez-moi ces quelques réflexions :
Chacun.e d’entre nous tend à s’inquiéter, qui des menaces contre l’environnement, qui des dangers de l’intelligence artificielle, qui de la crise économique probable, qui des bouleversements culturels ou géopolitiques. Leurs interactions semblent ouvrir une période d’authentique mutation. C’est peut-être dans ce sens que nous devons essayer de penser et d’agir.
Les tristes sires (« no King » disent les manifestants américains) mentionnés plus haut montrent chacun, mais de façon implacablement similaire, que leur mépris du droit vaut aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Ils nous enfoncent dans une période dominée par la logique de la haine, de la violence et de la puissance. Nous pouvons nous y opposer en misant sur la force des relations entre celles et ceux qui agissent en différents lieux, à différents niveaux.
Dépêchons-nous de profiter de la liberté d’expression et du droit de vote dont nous disposons pour condamner, voire punir, le manque de courage de nos dirigeants Européens.
Que le régime des ayatollahs soit indéfendable ne veut pas dire qu’on a le droit, qu’il soit avisé, de faire ou de laisser tomber sur lui le « Marteau de Minuit » (nom de l’opération lancée par le Pentagone).
Et quelle ironie destructrice. En même temps, et je choisis mes mots, qu’ils donnaient crédit à l’apparente possibilité de négociation alors que Trump préparait ses frappes, nos dirigeants se sont montrés victimes du biais cognitif bien connu sous le nom de « loi de l’instrument », selon laquelle qui possède un marteau a tendance à tout voir comme un clou !
Et il y a plus grave. Notre tolérance avec les guerres d’Israël choque un grand nombre d’autres pays et forces de la planète - généralement concentrées au sud - ceux que l’Amérique de Trump expulse, bannit ou cherche à détruire… et que la Chine courtise.