M. Attal, n'oubliez pas la technologie ≈023
Contre-lettre ouverte au ministre de l’éducation et au collectif demandant de « redonner à l’écrit ses lettres de noblesse. » Pour l’expression sous toutes ses formes et la lutte contre la défiance.
Un vaste collectif prestigieux d’écrivains, d’intellectuels, d’artistes, d’éditeurs… vient de publier le mardi 5 septembre sur le site du Monde une lettre ouverte demandant au ministre de l’éducation nationale de « redonner à l’écrit, dès l’école primaire, ses lettres de noblesse ». Ecrire c’est « apprendre à penser, à fixer ses idées, à communiquer, à s’émanciper. A développer son esprit critique. C’est être présent, s’inventer un monde intérieur. C’est pouvoir se relier à soi-même et à l’autre par les mots. » Bravo.
Intervention apparemment salutaire intervenant le jour de la rentrée à un moment parfaitement choisi : nouveau ministre et « conjonction inédite de trois phénomènes majeurs dont on n’a pas encore, semble-t-il, réellement anticipé les effets, explosifs, pour les années à venir : la dégradation du niveau scolaire de l’écrit et de la lecture ; la toute-puissance des écrans dans le cerveau des jeunes à propos de laquelle les scientifiques, les professionnels de l’enfance et les enseignants tirent le signal d’alarme depuis des années ; l’expansion fulgurante de l’IA qui, demain, risque de penser à notre place. Nous ne voulons plus être frappés par le même déni que celui qui concerne la crise climatique. »
J’admire la plupart des signataires, ceux que je connais (pas personnellement) d’Edgar Morin et Cynthia Fleury à Djamel Debbouze en passant par Matthieu Ricard, Delphine Horvilleur et Mahir Gouven. Mais je crains qu’ils fassent fausse route en se limitant à l’écriture et qu’ils soient entendus. Leurs recommandations me semblent un tantinet désuètes.
Commentaires : Écriture, expression, esprit critique
Pleinement d’accord avec la demande de formation à l’écriture et l’appréciation de son rôle dans la formation de l’esprit critique, je rappelle que nous avons toujours utilisé pour y parvenir du software (alphabet ou logiciel) et du hardware (burin ou clavier, pierre, papyrus ou écran). Question d’adaptation.
Interface omniprésente et commode, l’écran n’a pas que du bon et il faut enseigner aux enfants comment ne pas en abuser comme on leur apprend à traverser une rue en montrant toujours le bon exemple… devant un feu vert et avec son mobile.
Si vous ne voulez pas d’écrans enseignez leur comment parler (ce que nous ne faisons pas en France à la différence de la Grande Bretagne) comment dire ce qu’ils sentent en vidéo ou en son, en dessins aussi ou en musique, pourquoi pas. Il est maintenant clairement reconnu par les neurosciences que les aires langagières du cerveau sont associées.
Privilégiez la capacité de s’exprimer (quels que soient les médias) et et de maîtriser le fonctionnement de l’IA. N’oubliez pas l’enseignement des mathématiques, de la physique et autres sciences dures si nous ne voulez pas les condamner aux rôles - honorables mais peu nourrissants - de gardiens de musée ou de camping.
L’éléphant dans le système
Nous savons depuis plus de 10 ans maintenant qu’une de nos caractéristiques sociales est l’omniprésence de la défiance dans notre histoire, notre culture, nos institutions. Comment expliquer ce travers français ? demandait Le Monde à la sortie du livre La fabrique de la défiance en 2012 (rien d'une nouveauté donc). « D’abord par notre école, "archétype de l'enseignement vertical". "Nous sommes les champions de l'absence de travail en groupes", déplorent les auteurs, dont deux sont enseignants, en insistant sur le coût de ce dysfonctionnement, à savoir des résultats médiocres et des inégalités. "Nos méthodes pédagogiques et la formation de nos enseignants favorisent un élitisme forcené qui se révèle contre-productif. Y compris dans l'entreprise", écrivent-ils. »
Le vrai problème techtonique que nous devons résoudre est dans cette culture qui glisse si vite vers le mépris. Les technologies peuvent être aux mains des grandes boites américaines, bien utilisées elles contribuent à démocratiser l’accès aux connaissances et à leur utilisation. C’est ce que nous devons encourager par la maîtrise.
« Pas de mesurette »
C’est la formule que je préfère dans le texte de nos élites culturelles auquel je me permets d’ajouter ces cinq propositions :
Partez de la réalité : les jeunes (et quelques professeurs) se servent des outils digitaux y compris de l’intelligence artificielle. Cette couche digitale de notre vie ordinaire ne cessera pas d’évoluer et c’est là que nous pouvons agir.
Augmentez les cours d’expression avec toutes les techniques d’aujourd’hui, celles qu’utilisent trop nos enfants et celles qu’ils n’utilisent pas assez. Et, pour montrer que vous prenez cela au sérieux, donnez la priorité à la formation des enseignants aux technologies d’accès et de gestion des connaissances personnelles et collectives.
Dotez-les d’outils puissants pour réfléchir et transformer l’enseignement, les dominations, institutionnelles et autres, ainsi que le système dans lequel nous fonctionnons. Que l’esprit critique et la maîtrise des technologies servent à faire bouger le schmilblick sans contribuer à l’accroissement des inégalités.
Lancez une consultation citoyenne sur la réforme de l’enseignement et de sa conception en posant la question de notre horrible culture de la défiance et du mépris. L’éducation est une dynamique sociale qui fonctionne d’autant mieux qu’elle compte avec la participation interactive des élèves ou étudiants, des parents, des professeurs et de la société environnante.
Vous augmenterez ainsi nos chances de former des citoyen.ne.s doté.e.s d’instruments technologiques et de connaissances scientifiques pour mieux maîtriser le système que nous, leurs aînés, avons mis en place et dont ils se méfient de plus en plus sans autre arme que le rejet plutôt que l’action.
Usages : des chiffres délicieusement contradictoires
Radio Canada signale une étude réalisée dans le pays par le cabinet d’études KPMG auprès de 5000 élèves de plus de 18 ans.
6 élèves sur 10 considèrent l’utilisation d’outils d’IA générative comme de la tricherie;
52 % des étudiantes et étudiants majeurs l’utilisent comme aide dans leurs travaux scolaires;
87 % estiment que leurs devoirs sont de meilleure qualité en utilisant l’IA;
Cela s’est concrétisé dans 68 % des cas en de meilleures notes;
81% d’entre eux y voient une compétence essentielle pour l’avenir;
72% veulent suivre des cours pour apprendre à mieux s’en servir…
Vos commentaires sont toujours les bienvenus.
A la semaine prochaine…