Toujours plus, ou l’âge de l’intelligence artificielle ≈003
Si on vous demande à quoi vous fait penser l’intelligence artificielle, répondez : aux Jeux Olympiques. Surprise assurée. Rapprochement fondé. Ils pourraient avoir la même devise : « Toujours plus » - Citius, Altius, Fortius : « plus vite, plus haut, plus fort » pour les JO. Ça s.applique à l’IA pour laquelle l’accélération du rythme des changements est, elle-même, de plus en plus rapide. A quoi s’ajoute, dans les deux cas, plus d’argent.
Mais nous ne sommes pas au spectacle (ou nous y sommes de façon immersive) et nous avons intérêt à comprendre.
Pour l’IA, la quantité concerne données, connaissances, prévisions et actions ainsi que les relations établies entre elles, c’est-à-dire une forme d’intelligence, en l’occurence non humaine, qui se glisse sans fanfare « dans le tissu fondamental de l'activité humaine » estiment les trois auteurs du livre The Age of AI, And Our Human Future (L'âge de l'IA et l'avenir de l'humanité, non traduit pour le moment). Un dispositif en place depuis plusieurs années grâce à « un nouveau type d'entités que nous appelons "plateformes de réseaux" : les services digitaux qui apportent de la valeur à leurs utilisateurs en les regroupant en grand nombre, souvent à l'échelle transnationale et mondiale ». Facebook, Twitter, Instagram ou les recommandations d’Amazon entre autres.
Le texte est écrit par trois personnalités états-uniennes de premier plan. Henry Kissinger, le presque centenaire grand maître de la géopolitique moderne; Eric Schmidt l’ancien président de Google et Daniel Huttenlocher patron d’un centre de recherche au Massachusetts Institute of Technology. Du beau monde qui connaît son sujet et en parle en termes clairs.
Toujours plus, donc, et tout y contribue.
Les puissances misent dessus pour assurer leur suprématie (ou se protéger des avancées de leurs adversaires), les riches pour accroître leurs sources de revenus en pariant sur un domaine doté d’une dynamique propre et pas toujours comprise : son côté « génératif » qui nous fait accéder à des réalités « au-delà des limites de notre perception. »
Les risques aussi augmentent en raison des affrontements induits par les logiques de domination. En plus grave qu’hier : « Tout au long de l'histoire, de nombreuses technologies ont été à double usage [civil et militaire]. D'autres se sont répandues facilement et largement, et certaines ont eu un énorme potentiel de destruction. Jusqu'à présent, cependant, aucune n'avait les trois caractéristiques. » Les risques semblent devoir se multiplier.
Du nouveau… de degré ou de nature ?
Nous comprenons tou.te.s que l’IA est quelque chose de nouveau mais les plus sages se demandent, avec raison, s’il s’agit de degrés ou de nature, de plus d’un peu tout ou du passage à une terra incognita.
Tout a commencé avec la digitalisation (ordinateurs, web, puis téléphones mobiles et réseaux sociaux dans le fonctionnement desquels elle joue un rôle clé). Mais, ajoutent nos trois auteurs, l’IA est en train de « devenir graduellement et discrètement » un facteur de triage et de façonnage de la réalité à tous les niveaux. Ce qui est nouveau, pour eux « c'est qu'une autre intelligence, qui n'est pas humaine et souvent inexplicable en termes de raison humaine, en est la source. Ce qui est également nouveau, c'est l'omniprésence et l'ampleur de cette nouvelle intelligence ». En vrais penseurs et gestionnaires du système dans lequel nous vivons Kissinger, Schmidt et Huttenlocher pensent d’abord à leur pays, à la puissance américaine. Ils n’accordent guère d’importance à la crise climatique (que l’IA aggrave du fait de son emprunte carbone mais peut aussi contribuer à résoudre). Ils ne s’étendent pas non plus sur l’accroissement des inégalités entre individus, entreprises, villes, régions ou pays. Mais leur analyse de fond met en lumière les défis que l’IA posent à l’humanité. « Nous », pas un concept abstrait.
Nous devons choisir… sans totalement comprendre
Bénéfices et risques sont posés. Nous devons choisir, prendre nos responsabilités.
La première est, selon les auteurs, de gérer les risques en même temps que nous continuons à avancer dans cette science nouvelle. Un long parcours dans lequel « À chaque tournant, l'humanité aura trois options principales : confiner l'IA, s'associer à elle ou s'en remettre à elle. » Rejet, soumission ou partenariat. Pas compliqué... à formuler.
Mais ça va plus loin : « À une époque où les machines accomplissent de plus en plus de tâches dont seuls les humains étaient capables, qu'est-ce qui constituera notre identité en tant qu'êtres humains ? » La réponse peut-elle être le fruit du travail « d’humains assistés par des IA, qui interprètent et donc comprennent le monde différemment ? »
Espoir ou inquiétude, je vous laisse choisir en vous invitant à tenir compte de ce diagnostic formulé au début de leur livre « L'esprit humain n'a jamais fonctionné de la manière dont l'ère de l'internet l'exige. » et ça n'était que le début...
Changer notre façon de penser, voilà le vrai défi.
2 bonnes questions…
Une intelligence peut-elle émerger sans corps ?
La première question consiste à demander si une intelligence peut se développer sans contact physique. Embodied.com, une entreprise de Californie, pense le contraire et a développé Moxie, un robot turquoise qui joue avec les enfants. La logique est que, comme pour les bébés, la seule façon de limiter les dégâts est d’insuffler à l’IA « une solide compréhension de ses propres limites en s’appuyant sur les essais et les erreurs constants [auxquels nous contraignent] les déplacements dans le monde réel. »
Qui est plus dangereux des humains ou des robots ?
C’est la question que pose un créateur des seconds pour y répondre avec virulence : ce sont les premiers qui l’atterrent. Les multiples batailles d’intérêts et les désaccords surgis à propos de l’appel à une pause dans le développement de l’IA lancée fin mars, et maintenant signé par plus de 50.000 personnes, lui font redouter que la réflexion qu’il croit nécessaire soit élusive… du seul fait des humains. (Commentaire en français)