L’IA ignore l'heure mais gère mon temps ≈012
Samedi dernier, j’ai demandé l’heure à mon assistant virtuel. 18:06 m’a-t-il répondu. L’ordinateur indiquait 20:06. Même question à ChatGPT qui, reconnaissant son impuissance, m’a conseillé de consulter ma montre. L’ironie m’a piqué et j’ai creusé. C’est tout simple et ça mène loin.
Retour au moteur de recherche qui me donne vite une réponse claire : L’IA la plus avancée n’a aucun moyen de comprendre le concept de temps lui-même« Time is irrelevant to a machine » (le temps n’est pas pertinent pour une machine). Comment l’IA peut-elle nous être utile dans de telles conditions ?
Des réservoirs d’histoire
En fait, l’IA d’aujourd’hui n’a aucun besoin de comprendre quoi que ce soit, et ne le prétend pas, du moment qu’elle peut compter sur une quantité considérable de données. La constatation en avait été faite en 2009 dans un document phare de Google : « The unreasonable effectiveness of data » l’efficacité déraisonnable des données. Quand il en a suffisamment , le Big Data obtient des résultats qui échappent à la raison humaine.
Mais alors, me suis-je dit, si c’est ça l’essentiel, les grandes IA (OpenAI, Google ou Meta) ne sont que des accumulatrices de temps, des réservoirs de l’histoire (au singulier bien sûr) dotées d’une intelligence plutôt reptilienne, inconnaissable comme nous l’avons vu.
Accrochez-vous. Pas de grand dessein derrière cette évolution : nous avons emprunté cette voie le jour où ça a coûté moins de garder toutes les données que de réfléchir à comment les classer. Rien d’intellectuel en apparence.
Petit voyage dans l’inexistemps (sic)
Sauf, si l’on en croit le physicien Carlo Rovelli, que la variable « temps » linéaire ne permet pas de décrire le monde. Même une pierre, dont nous sommes tous tentés de croire que c’est une « chose » est, en réalité « un événement qui se déroule. » Elle est en perpétuelle transformation. « Dans la "grammaire élémentaire du monde, il n'y a ni espace ni temps, mais seulement des processus", écrit le scientifique. Les physiciens ne sont plus vraiment certains que l’univers a commencé avec le Big Bang.
Ça paraît vraiment bizarre, et ça l’est… d’autant plus que la philosophie semble d’accord.
Il est courant de concevoir les technologies comme autant d’objets (machine à vapeur ou smartphone) mais, derrière Héraclite, Hegel, Bergson et Deleuze, entre autres, on trouve toute une lignée qui attache plus d’importance aux flux, au devenir plutôt qu’à l’être, aux processus, et à leurs co-créations du fait de leurs interactions avec les humains, plutôt qu’aux choses. Le Big Data essentiel à l’IA est entièrement fait d’histoire et de passé. Or, pour le philosophe Mark Coeckelbergh « Nous devons trouver une façon différente de construire le temps : comment laisser la place à l'avenir et au changement social, comment prendre le temps d'interpréter et de juger, et comment prendre le temps d'écouter les gens et leurs histoires. »
Le Pentagone s’en mêle
La préoccupation n’a pas échappé au Pentagone qui n’a pas peur des questions bizarres. Sous le nom de Time-Aware Machine Intelligence (TAMI) (Intelligence machine qui prend en compte le temps), son département de recherche se propose de financer un système d’IA qui comprendrait les dimensions temporelles de toutes les données et de leurs relations. Elle s’appuierait pour ce faire, pas de surprise, sur les mécanismes de gestion du temps des réseaux neuronaux du cerveau humain.
Mais cela n’est qu’un premier pas. Gary Marcus, spécialiste des neurosciences et de l’IA appelait en 2019 à : « cesser de construire des systèmes informatiques qui se contentent de détecter […] des modèles statistiques dans des ensembles de données […] et commencer à en construire qui, dès le moment de leur assemblage, saisissent de manière innée trois concepts de base : le temps, l'espace et la causalité. » C’est indispensable pour construire une intelligence artificielle en laquelle nous pourrions avoir confiance.
En clair, les IA disponibles aujourd’hui savent tout ce qu’on peut savoir sans que cela représente quoi que ce soit pour elles. Il leur manque l’expérience que l’on ne peut acquérir qu’avec un corps physique capable d’enregistrer les processus qui lui permettent d’apprendre à mesure qu’il se déplace dans l’espace et dans le temps. Un autre domaine de recherche sur lequel je reviendrai.
Nous voilà rassuré.e.s si l’on accepte de comprendre qu’elle n’a pas besoin de comprendre pour nous servir. Réciproquement, ça n’est pas parce que nous ne comprenons pas tout qu’il faut tout rejeter.
Du concret : l’IA pour gérer son calendrier
Le meilleur de tout ça est, en effet, qu’ignorante du temps l’intelligence artificielle peut nous aider à gérer le nôtre comme l’indique ce billet, plein d’exemples et de suggestions. Il se trouve sur le site Ridiculouslyefficient.com. L’auteure y dit très précisément comment demander à ChatGPT de structurer vos actions de la journée en fonction de leur urgence et de leur importance. Elle dit même quelles instructions (prompts) lui donner. En toutes lettres :
Agissez comme spécialiste de la gestion du temps et coach en productivité. Je fournirai une liste des tâches que je dois accomplir aujourd'hui et vous m'aiderez à les classer par ordre de priorité en fonction de leur difficulté, de leur échéance et de leur importance.
Étape 1 : Me demander ma liste de tâches.
Étape 2 : Posez des questions ouvertes pour vous aider à comprendre l'urgence et l'importance relatives de chaque tâche et à classer la liste par ordre de priorité.
Étape 3 : Rédiger une liste de tâches classées par ordre de priorité. À la fin de la liste, expliquez votre raisonnement.
Étape 4 : Me demander un retour d'information et les révisions souhaitées.
Étape 5 : Incorporez les révisions dans une nouvelle liste de tâches classées par ordre de priorité.
Avez-vous compris ?
La question est pour ChatGPT !
Copiez collez ou référez-vous à l’original si vous préférez.
Bonne journée, bien organisée ;-)